Notre compagnie travaille avec des animaux, des hommes des femmes, des enfants. Toutes ces personnalités travaillent ensemble et leurs jeux créent dans la musique, l’acrobatie, le chant, la danse, s’inventent autour et avec la présence animale.
Cette synergie commune dessine de nouveaux ponts artistiques et humains. C’est ainsi que dans nos spectacles l’animal a le rôle de guide, d’observateur, et de celui qui pose les questions. Pour moi les animaux de notre compagnie ne sont pas là parce que nous avons souhaité leur faire une place mais parce qu’ils sont eux aussi le Monde que l’on raconte.
Nous essayons tous les jours de nous défaire des clichés, nous cherchons à regarder autrement. Les animaux de la compagnie Baro d’evel sont de véritables partenaires de jeu, nous ne les mettons pas en scène dans l’idée que l’animal ne peut être perçu que par rapport au service qu’il rend à l’homme, au contraire ils sont sur scène en tant qu’eux-mêmes.
Travailler, jouer, inventer, créer avec ces animaux c’est avant tout vivre avec eux et explorer de nouveaux rapports, à leurs côtés nous développons une perception du monde plus sensible.
Notre démarche artistique s’inspire de ce quotidien à leurs côtés, ce qu’ils font sur scène découle naturellement de leurs personnalités, de leurs affinités entre eux, et de la relation avec chaque artiste. Nous créons des formes poétiques dans lesquelles s’explorent les thèmes de l’identité, de l’altérité, de ce qui nous lie, du vivant. Pour moi partager la scène avec des animaux c’est renouer littéralement avec ce que veut dire « jouer », ils permettent aux artistes comme aux spectateurs d’être traversés par ce qu’il se passe dans l’instant. À leurs côtés nous devons essayer de « faire avec », de ne pas fabriquer l’émotion, d’être dans la justesse de l’instant, c’est un mélange de maîtrise et d’abandon.
Mon choix d’introduire des animaux dans le travail de la compagnie ne s’est pas fait à la légère, car je sais depuis l’enfance que c’est un engagement de tous les jours, et sur du long terme. Pouvoir dialoguer et devenir complice avec chacun d’eux demande un investissement profond.
L’arrivée d’un animal dans la compagnie est une réelle démarche d’adoption, c’est pour cela que nous avons peu d’animaux.
Dans nos spectacles les chevaux et les oiseaux sont libres, chaque scène où ils interviennent garde une part d’improvisation, car nous n’utilisons pas de méthodes qui viseraient à mécaniser les animaux et à leur faire faire des exercices comme des automates. Nous cherchons plutôt à inventer avec eux un langage commun, pour pouvoir communiquer sur scène par le corps et la voix.
Pour moi travailler avec un animal c’est inventer un mode de communication et s’engager physiquement ensemble, c’est avant tout l’histoire d’une complicité et d’une relation.
Il s’agit bien de savoir s’adapter à chacun, d’être dans une démarche d’éducation, savoir reconnaitre ses signaux, savoir se connecter avec son ressenti, respecter ses limites physiologiques et psychologiques, lui permettre d’évoluer, de se sentir en lien.
Les animaux de la compagnie sont comme des « passeurs », ils nous aident à mettre en lumière les liens entre humains et animaux, et permettent de rendre perceptible ce que parfois on ne peut expliquer. Cela nous permet de reconnecter le spectateur avec sa propre animalité, son appartenance au sauvage, et cela joue un rôle bénéfique sur le regard du spectateur sur sa propre condition d’homme et sur celle des animaux.
Pour moi créer des espaces où l’homme et l’animal sont partenaires fait partie des solutions possibles dans un monde en perte de sens.
Camille Decourtye, mai 2018
Photos : François Passerini / Perruches : Fanny Thollot / Gus, corbeau-pie : Blaï Mateu Trias